PETIT COLLÉGIEN -10

Publié le par lambersart-yvon cousin

J'aimerais bien pouvoir exhiber ici de brillants résultats scolaires et vous dire que dès la sixième les professeurs se sont extasiés devant ma prodigieuse intelligence . Je préfère rester modeste …

Pourtant ma nouvelle scolarité s'annonçait sous d'heureux auspices . J'étais inscrit en 6e Classique C , réputée meilleure que les sixièmes «moderne» et en outre, réservée aux élèves de bon niveau. Je pouvais donc me réjouir mais je m'interrogeais aussi pour savoir d'où je tenais cet insigne honneur . Mes résultats à l'examen d'entrée avaient ils été à ce point transcendants ? J'ai compris plus tard que j'avais bénéficié d'un «coup de pouce» dû aux bonnes relations du cousin de mes parents avec le principal du collège .

Aller contre la nature c'est s'attirer des ennuis. Si les deux premiers mois les professeurs m'ont inscrit au Tableau d'Honneur, la suite de l'année a prouvé que je n'étais pas au niveau de mes camarades .Ma place dans cette sixième était sans doute contre- nature . J'ai vite décroché . Souvent j'en souffrais, et parfois je me réfugiais dans un monde chimérique plus accueillant . Les écoliers abonnés aux fonds de classe me comprendront. Même le latin , où je partais à égalité avec mes camarades débutants comme moi, ne m'a pas permis de suivre correctement . Dans cette langue où dès le début de l'apprentissage, il faut connaître les principales fonctions grammaticales, mes lacunes m'ont vite handicapé . Malheureusement les autres disciplines laissaient aussi apparaître mes faiblesses, et les professeurs ne m'attendaient pas .  Il m'arrivait donc souvent d'être comme l'écolier du poème «l'oiseau-lyre» de J. Prévert, qui s'échappait mentalement de la classe pour entrer dans le monde de la fantaisie , laissant le professeur dans son monde rébarbatif.

Je vivais dans la crainte des fins de mois. Le 30 ou le 31 , le principal ou le surveillant général entrait brusquement dans la salle de cours . Chacun se levait d'un bond, le professeur s'arrêtait net et c'est dans un silence absolu qu'étaient lus et commentés les inscriptions et les refus d'inscription au Tableau d'Honneur. Ce cérémonial m'était pénible .

J' ai cependant tiré de cette période une leçon et une pratique pour ma vie professionnelle ultérieure . On doit éviter aux élèves de se trouver trop souvent en situation d'échec. Les efforts demandés doivent être juste un peu supérieurs au niveau qu'ils ont déjà acquis . Si l'écart est trop grand, l'élève décroche . N'est ce pas d'ailleurs la technique des dresseurs d'animaux ? Voyez les dauphins qui sautent plusieurs mètres au dessus du bassin . On les récompense chaque fois qu'ils franchissent la corde tendue que l'on monte peu à peu . J'étais peut-être ce dauphin que l'on voulait faire bondir trop haut, trop vite! Hum! C'est en tout cas aujourd'hui l'explication flatteuse que j'avance pour justifier mes piètres résultats . Inutile de préciser qu'il m'a fallu attendre plusieurs années avant d'avoir l'honneur de monter sur la scène lors de la distribution solennelle des prix . Quelle belle tradition que cette cérémonie. Parents endimanchés, élèves tout beaux en uniforme, professeurs en toge étaient réunis dans une grande salle de sports du centre d'Armentières . Une haute personnalité présidait, un professeur prononçait «le discours d'usage» et les premiers prix, seconds prix et accessits se voyaient remettre livres et diplômes avant le départ en vacances . Vacances qui pour moi ont souvent été studieuses.

Les vacances à Agon-Coutainville ont été ternies par des cours par correspondance . D'autres l'ont été à Estaires au hameau du Vert Gazon sur la route de Vieux Berquin. Je logeais chez ma tante Marie Madeleine et j'y étais bien . Au petit déjeuner j'appréciais la tranche de fromage du Mont des Cats dont le goût m'est resté comme la madeleine de Proust. J'aimais surtout traverser la route pour passer un long moment chez Fidèle , le maréchal-ferrant . J'ignore si ce nom était vraiment le sien ou s'il était-celui que lui attribuait ma tante parce que Fidèle est un nom que portent des milliers de chevaux. . Il n'y avait rien chez ma tante qui pût me déplaire sauf que l'après-midi je devais aller chez Albert, le cousin de mes parents. . Albert était instituteur et pendant les vacances d'été il anticipait avec ses deux garçons le programme de mathématiques de la classe supérieure. Une stratégie payante car l'un est sorti dans la botte de Polytechnique et l'autre est devenu rhumatologue. En ce qui me concerne il devait se contenter de m'initier à l'algèbre et à la géométrie et dès qu'il relâchait la pression, mon esprit s'évadait pour aller retrouver l'odeur de la corne brûlée des sabots des chevaux et le bruit des coups de marteau sur l'enclume.

Quand je fais le bilan de mes premières années-collège , je dois reconnaître que mes résultats sont restés irréguliers sans toutefois m'obliger à redoubler de classe. Je passe rapidement sur ce devoir de français où il fallait expliquer et illustrer cette phrase du Candide de Voltaire: «le travail éloigne de nous trois grands maux; l'ennui, le vice et le besoin». Dans ses commentaires M. Campagne, le professeur, furieux, condamnait avec véhémence mon charabia! Je préfère plutôt me rappeler ce 18/20 en Histoire même si cette belle note je l'ai partagée avec deux autres élèves, dont le fils de notre professeur. Le fiston avait «volé» le sujet sur le bureau de son père et nous l'avait communiqué. Ni vu, ni connu.

Nous n'étions pas des petits saints, je l'avoue. De toutes les sanctions , la plus redoutée était le passage devant le conseil de discipline . Je garde en mémoire le" renvoi"  d'un de nos camarades . Il avait introduit dans l'établissement une de ces petites brochures dont les adolescents que nous étions raffolaient et se passaient de main en main , clandestinement, parce qu'elle était illustrée d'images pornographiques. Quant à moi je n'oublierai jamais la semaine d'angoisse que j'ai vécue en attendant à tout moment mon passage devant le conseil . J'avais commis la sottise d'écrire dans un devoir de punition que j'aimais «jeter des boules de neige dans le dos des surveillants». Une semaine d'angoisse heureusement sans suite car le surveillant général m'a oublié!

Je ne saurais terminer le récit de mes premières années au collège sans rappeler la mise en scène organisée pour accueillir Line Renaud , Mlle from Armentières, ancienne élève du collège de jeunes filles. A son arrivée dans la cour nous devions nous précipiter vers elle en manifestant notre joie ! Ce trucage est sans doute à l'origine de la défiance que m'inspirent toujours les reportages télévisés. Et, comment pourrais-je oublier aussi  le fou-rire et le chahut que nous avions déclenchés au spectacle d'une pièce de Corneille ou de Racine quand apparut le héros bedonnant et poilu comme un singe ?

La vie de jeune collégien n'était jamais terne, celle de grand collégien ne le fut pas moins.

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